Colloque international (modalité hybride)
27-28 juin 2024 Montpellier (France)

Argumentaire

JOURNÉES D'ÉTUDES INTERNATIONALES

REGGAETON : SOCIÉTÉ, LANGUE, CULTURE ET EDUCATION

Le reggaeton est un genre musical hybride composé d'une base rythmique appelée dembow, dans laquelle se mélangent régulièrement des rythmes populaires tels que le reggae en espagnol, le rap, la salsa, la bomba y plena, le merengue, la bachata, la pop, le dancehall et la musique house. Depuis sa création, il est interprété principalement par des hommes et se caractérise par des paroles très sexuelles dans lesquelles les femmes sont souvent réduites à l'état d'objet et dépeintes comme soumises et sans voix, manquant d'autonomie. D'autres particularités du genre sont son instrumentalisation musicale, c'est-à-dire le rythme, essentiellement électronique, sa façon unique de danser, appelée « perreo », la façon dont les chanteurs s'habillent, l'utilisation de l'auto-tune, les paroles des chansons (qui défient souvent la normativité de la langue espagnole), l'utilisation du spanglish, les vidéoclips dans lesquels on voit souvent des femmes hypersexualisées et des hommes hypermasculinisés faisant étalage d'argent, de pouvoir, de drogues et d'alcool. Depuis les années 1990, le reggaeton a été remis en question, voire attaqué, pour son contenu. Certains chercheurs affirment que ces attaques sont fondées sur des critères de race et de classe sociale.

À ses débuts, le reggaeton était un mouvement musical clandestin en raison de la persécution des jeunes dans les bidonvilles de San Juan, à Porto Rico. Cette criminalisation a ensuite conduit à la persécution de ceux qui dansaient sur cette musique. Dans une Amérique latine machiste et classiste, les femmes qui s'aventuraient dans ce genre étaient mal vues, dénigrées, voire insultées. Tout cela explique la rareté des chanteuses dans le genre dans les années 2000. Cependant, les choses ont progressivement changé avec la nouvelle vague du reggaeton. En effet, les années 2010 ont été marquées par l'émergence et la consolidation d'interprètes féminines telles que Karol G, Becky G, Farina, Greeicy, Natti Natasha, Chocolate Remix, Tomasa del Real, Ms Nina, Rosalía et Anitta, entre autres, largement influencées par la Portoricaine Ivy Queen, la seule femme reconnue internationalement dans le domaine du reggaeton pendant des années.

Par conséquent, depuis près d'une décennie, des compositrices et des interprètes féminines apparaissent en Amérique et en Espagne (Bad Gyal et Lola Indigo, par exemple), ouvrant la voie à de nouvelles voix, opinions, interprétations et lectures de ce genre musical.

De nombreux chanteurs de reggaeton ont été accusés d'objectiver et d'hypersexualiser les femmes dans leurs chansons et vidéoclips, de promouvoir le machisme, voire le racisme et la misogynie dans des sociétés où les chiffres de la violence à l'égard des femmes et des inégalités entre les sexes sont inquiétants. Paradoxalement, certaines chanteuses urbaines ont également été impliquées dans des controverses et des scandales en raison du contenu de leurs paroles et de vidéos, tout comme leurs homologues masculins.

Le terme reggaeton est apparu pour la première fois dans les rues de Porto Rico dans les années 1990. Il s'est ensuite répandu massivement dans des villes comme Los Angeles, Miami et New York. Au début des années 2000, il s'est étendu à d'autres pays d'Amérique latine et s'est progressivement installé en Europe, puis dans le reste du monde. C'est sur l'île des Caraïbes que ce nouveau genre musical a vu le jour et s'est développé grâce à des chanteurs comme Daddy Yankee, Nicky Jam, Don Omar, Ivy Queen et Tego Calderón et des producteurs comme DJ Blass, DJ Nelson et Luny Tunes. La chanson Gasolina (Daddy Yankee, 2004) sera la première à ouvrir les portes du reggaeton sur le marché international. Cependant, ce premier boom des années 2000, qui a fait connaître cette musique en dehors des pays hispanophones, n'a pas duré.

C'est depuis les montagnes de Medellín (Colombie) que des jeunes blancs de classe moyenne (J Balvin, Reykon, Maluma, Feid, Sebastián Yatra, Manuel Turizo, Karol G, etc.) vont commencer à moderniser ce genre afro-caribéen, en y incorporant une nouvelle image du reggaetonero, ainsi que leur propre rythme : plus lent, plus mélodique, romantique et lyrique, avec de subtiles touches d'influence d'autres styles de musique latinoaméricaine. L'internationalisation définitive du reggaeton se concrétisera avec le succès mondial de Despacito (Luis Fonsi et Daddy Yankee) en 2017 et l'arrivée de « l'énigme Bad Bunny » (Rodríguez Madera et al., sous presse). Le reggaeton deviendrait ainsi un genre mainstream.

Aujourd'hui, le reggaeton n'est pas seulement un genre musical, mais aussi un phénomène culturel, social, sociolinguistique, économique et politique qui influence divers aspects de la vie des citoyens d'Amérique latine et d'Espagne.

Bien que l'introduction du reggaeton dans les universités ait suscité des critiques et des interrogations morales et médiatiques, comme l'ont récemment décrit les chercheuses mexicaines Dulce A. Martínez Noriega (Museo Universitario del Chopo, 2023a) et Ariadna Estévez (Estévez, 2023), depuis les années 2000 de nombreux universitaires se sont intéressés à cette musique depuis différentes aires géographiques, sciences et disciplines. Ainsi, ces dernières années nous avons constaté une augmentation de publications scientifiques faisant état de réflexions théoriques et de recherches empiriques menées dans les domaines de l'ethnographie, la musicologie, l'anthropologie, la sociologie, l'analyse critique du discours, la sociolinguistique, la linguistique, les études culturelles, les études de genre, la psychologie, la philosophie, les neurosciences, la communication, le marketing, l'éducation et, dans une moindre mesure, la didactique de l'espagnol langue étrangère.

Cependant, à ce jour, peu de manifestations scientifiques internationales (colloques, journées d'études, séminaires) ont traité des liens entre la musique urbaine en espagnol, la société, la langue, la culture et l'éducation. Il convient donc de se demander quelle est la contribution de l'université, des ensegnants et des chercheurs du monde entier au débat actuel sur la musique urbaine en espagnol, longtemps marqué par les visions des uns et des autres et par l'agenda des médias, de l'industrie musicale et des chanteurs eux-mêmes.

Dans ce contexte, les Journées d'études internationales en modalité hybride "Reggaeton : société, langue, culture et éducation", organisées à l'Université Paul Valéry Montpellier 3, ont pour objectif d'aborder le reggaeton à partir de perspectives plurielles, en créant un forum d'échange et de réflexion sur ce phénomène et, plus largement, sur les musiques urbaines en espagnol dans le monde d'aujourd'hui.

Cette manifestation scientifique s'adresse à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, s'intéressent au reggaeton, aux musiques urbaines, aux sociétés et cultures d'Amérique latine et d'Espagne, à l'éducation et, bien sûr, à la langue espagnole.

Cet évènement servira de prélude à un colloque international que nous espérons organiser en 2026 à Montpellier, où un panel plus large de chercheurs Français et internationaux pourra présenter l'avancée et les résultats de ses travaux.

 

Santiago Ospina García

Responsable scientifique

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